Je me souviens du premier zafu que j’ai cousu pour moi : un rond de tissu trop épais, une bourre mal répartie, et pourtant, en m’asseyant dessus, quelque chose a changé. Ce n’était pas seulement un coussin. C’était un point d’ancrage, une invitation à revenir, à respirer, à rester présent. Depuis plus de trente ans, je façonne ces objets — des zafus, pas de simples coussins — pour transmettre cette même vibration à celles et ceux qui s’assoient.
Le geste qui donne sens : une anecdote et le cœur de l’objet
Quand je couds, je pense à la personne qui s’assiéra dessus. Une fois, j’ai reçu un message d’une enseignante de méditation qui me disait : « Ton zafu m’a permis de retrouver mes genoux, et avec eux, ma pratique. » Cette phrase m’accompagne encore. Pour moi, un zafu n’est pas un accessoire décoratif. C’est un geste matérialisé, une réponse à une tension corporelle, une conscience appliquée au tissu.
Je veux ici raconter un détail : la couture centrale. J’ai appris, en observant un maître, que la couture qui traverse le centre d’un zafu structure l’assise. Elle répartit la pression, encourage l’ouverture du bassin, et limite la torsion du dos. Coudre cette ligne demande lenteur et attention ; je prends le temps de sentir la tension du fil, d’ajuster le remplissage. Chaque point est un signe pour le corps qui s’y posera : « ici, tu peux t’installer ». Ce petit travail invisible change l’expérience. L’assise devient stable, la respiration plus facile, l’esprit moins distrait.
Dire qu’un zafu est plus qu’un coussin, c’est d’abord parler de cette intention. Quand je fabrique, je choisis la densité du garnissage selon l’usage : une assise plus ferme pour des séances longues, plus souple pour débuter. Je mélange parfois des fibres pour obtenir un équilibre entre soutien et élasticité. Tout commence par un tissu. Et un silence. Ce silence, c’est ce que je souhaite retrouver dans la pratique de ceux qui s’assoient dessus.
Je ne vends pas des zafus. Je les fabrique pour ceux qui veulent s’asseoir avec justesse. Cette phrase n’est pas un slogan ; c’est une ligne de conduite. Le zafu est un compagnon de pratique, un outil qui oriente la posture, mais aussi le geste mental : s’asseoir sur un objet fait main invite au respect, à la gratitude. En ça, il transforme une activité physique en rituel.
Posture, alignement, respiration : le zafu comme outil biomécanique
S’asseoir sur un zafu modifie la géométrie du corps. En surélevant légèrement les hanches, il favorise l’antéversion du bassin : le bas du dos se relâche, la colonne trouve son alignement naturel, et la poitrine s’ouvre sans effort. Cette ouverture libère la cage thoracique et facilite une respiration plus profonde et plus douce. Pour beaucoup de pratiquants, la différence est immédiate : moins de douleur lombaire, moins de tension dans les épaules, une capacité accrue à rester assis plus longtemps.
Je travaille souvent avec des enseignants qui rapportent que leurs élèves tiennent mieux les postures assises grâce au zafu. Dans les centres zen et les écoles de yoga, l’utilisation d’un coussin adapté diminue les ajustements et les arrêts précipités dus à l’inconfort. La stabilité apportée par le zafu permet aussi au système nerveux de s’apaiser : quand le corps est soutenu, le mental peut se déposer. Le zafu devient un outil d’ancrage, au sens physiologique comme au sens psychique.
Je veille à ce que chaque zafu offre un équilibre entre fermeté et souplesse. Trop ferme, il crée des points de pression ; trop mou, il effondre la posture. J’ajuste le garnissage pour obtenir une surface qui épouse sans contraindre. Le travail sur la hauteur est essentiel : une différence de 2 à 3 centimètres peut transformer l’angle des hanches et soulager un genou ou une cheville récalcitrante.
Le design d’un zafu influe sur la posture. Les modèles avec couture centrale favorisent l’équilibre latéral, tandis que les zafus plus larges conviennent aux morphologies généreuses ou aux positions croisées. Le coussin de méditation devient ainsi un outil sur mesure, capable de soutenir la pratique quotidienne et d’accompagner l’évolution du corps.
Objet rituel et compagnon de silence : le lien entre l’humain et le coussin
Au-delà de l’anatomie, le zafu porte une dimension relationnelle. Il accompagne des commencements : la première séance d’un nouvel inscrit, la reprise après une période difficile. Il garde des traces : l’odeur du tissu, le frottement de la housse, la mémoire d’une assise. Ces éléments simples tissent une continuité dans la pratique. Poser le même coussin chaque matin, c’est créer un rituel qui signale au corps et à l’esprit qu’il est temps de revenir.
Je vois souvent des méditants qui choisissent un zafu comme on choisit un outil de confiance. Ils prennent soin de la housse, l’aèrent, la replient avec respect. Ce soin prolonge la relation : le zafu n’est plus un objet neutre, il devient un point de repère. Dans certains centres, le coussin est empreint de récits — une retraite, une transmission, un moment de présence partagé. Ces récits enrichissent la pratique. Le zafu, pièce matérielle, porte une histoire immatérielle.
Je m’efforce, en tant que zafutier, de transmettre cette dimension. Mes zafus portent une étiquette discrète où j’écris parfois une phrase : une invitation, un souhait. Ce petit geste d’humanité rappelle que chaque coussin a vu des mains le façonner et imagine des mains l’utiliser. Le fait-main instaure une relation de confiance qui transforme l’acte de s’asseoir en acte sacré, même pour ceux qui ne cherchent pas le sacré mais simplement un peu de calme.
Matière, durée, attention : pourquoi la fabrication compte
La qualité d’un zafu se joue dans le choix des matières et la durée de fabrication. Je choisis des tissus naturels — coton bio, chanvre, lin — parce qu’ils respirent, durent, et vieillissent avec grâce. Pour le garnissage, je privilégie des fibres résilientes ou du kapok, parfois de la balle d’épeautre pour celles et ceux qui veulent une assise plus ferme et respirante. Ces choix influencent non seulement le confort mais aussi l’empreinte écologique du coussin.
Je passe du temps sur les finitions : fermetures solides, couture centrale, renforts aux points d’usure. Un zafu bien fait peut durer des années, parfois des décennies. C’est un investissement dans la pérennité de la pratique. En fabriquant à la demande, je limite les stocks inutiles et je privilégie une relation à taille humaine avec celles et ceux qui commandent. Ce mode de travail n’est pas rapide, mais il respecte la matière et la personne qui s’assiéra.
Quelques chiffres personnels : après plus de 30 ans d’atelier, j’ai réparé et remis en service des centaines de coussins. Beaucoup reviennent, patinés, réparés, aimés. Cette durabilité est un signe que l’attention portée au geste compte. Le zafu fait main devient alors une pièce de transmission : il traverse les âges, accompagne des histoires, et continue de soutenir les pratiques.
Je dirais que le zafu est plus qu’un simple coussin parce qu’il réunit le soin du geste, le soutien du corps, la finesse du rituel et la responsabilité de la matière. Quand vous vous asseyez sur un zafu bien pensé, vous ne posez pas seulement votre poids ; vous posez une intention. Prenez le temps de sentir ça. Je fais chaque zafu avec cette attente : qu’il soit un lieu où l’on peut revenir, une assise qui enseigne la simplicité, une trace de main.
